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Droit des enfants d'être protégé des violences ...mais de quoi parle-t-on ?

Dernière mise à jour : 3 avr. 2021

Le droit des enfants d'être protégé de toute forme de violence est inscrit dans l'article 19 de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE) de 1989. En général, tout le monde s'accorde sur le fait que ce droit fondamental pour toute personne soit encore plus important pour des êtres en plein développement et nécessite des moyens d'autant plus importants en prévention que les conséquences des violences sur la santé et le développement sont majeures. Cela devient parfois plus compliqué pour définir certaines violences. De quoi parle ce droit d'être protégé des violences définis dans des programmes de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et de l'Europe dans le but de faire respecter pour le bien-être de tous les enfants ? Cela peut-il recouvrir des situations variables selon les contextes et les ressentis ? Cela concerne-t-il systématiquement toute mesure obligatoire envers les enfants ?



Tout d'abord, qu'entendons-nous par le mot « violence » ? Le Larousse nous donne comme définition principale de la violence un « caractère de ce qui se manifeste, se produit ou produit ses effets avec une force intense, brutale et souvent destructrice », venant du latin « violentia » évoquant l'intensité, la fougue et la brutalité. Le Larousse poursuit en parlant « d' abus de la force physique ou morale » ainsi que de « la contrainte physique ou morale exercée sur une personne en vue de l'inciter à réaliser un acte déterminé ». Cette définition très variable semble assez floue, ambigüe et subjective. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) quand à elle, définit en 1996 la violence comme étant de manière générale : « L’usage délibéré ou la menace d’usage délibérée de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté qui entraîne ou risque fort d’entraîner un traumatisme, un décès, un dommage moral, un mal-développement ou une carence. La définition comprend aussi bien la violence interpersonnelle que les comportements suicidaires et les conflits armés. Elle couvre également toute une série d’actes qui vont au-delà des actes de violence physique, incluant menaces et intimidation. Outre la mort et les traumatismes, elle englobe la multiplicité des conséquences souvent moins évidentes des comportements violents, comme les atteintes psychologiques et les problèmes de carence et de développement affectifs qui compromettent le bien-être individuel, familial et communautaire."».

La définition de l'OMS pose ainsi la violence plus objectivement en terme d'usage intentionnel de la force, de la menace ou de l'intimidation entraînant ou risquant fort d'entraîner des dommages sur le bien-être physique et psychologique. Il y a donc clairement dans cette définition de la violence une une mise en danger systématique de l'intégrité physique ou psychologique à plus ou moins long terme, par une ou des actions intentionnelles. La CIDE1 ratifiée par la France en 1990 engage 196 états à l'appliquer pour garantir la survie et le bon développement global de tous les enfants dans le respect de leurs besoins fondamentaux tant physiologiques que psycho-affectifs et sociaux. Concernant la violence, l' article 19 mentionne que : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »

Au départ définie principalement par la maltraitance physique, la négligence et l'exploitation sexuelle, la définition des violences envers les enfants s'est précisée avec diverses formes comprenant toute violence physique y compris les châtiments corporels, les violences émotionnelles ou psychologiques, les violences sexuelles et les violences entre pairs dont le harcèlement (y compris sur internet).

Les châtiments corporels correspondent, à des moyens violents utilisés avec une intention de punir ou de faire obéir l'enfant, tout en étant banalisées voire justifiées culturellement pour « le bien de l'enfant ». Elles sont appelées aussi « violences éducatives ordinaires », terme créé par Olivier Maurel, et recouvrent des formes physiques ou psychologiques, à présents interdites dans 60 pays dont la France depuis le 10 juillet 2019, en conformité avec la C.I.D.E .


Le Comité des droits de l'enfant de l'ONU les définit en 2006 par :

« tout châtiment dans lequel la force physique est employée avec l’intention de causer un certain degré de douleur ou de gêne, même légère. Le plus souvent, cela consiste à frapper (« corriger », « gifler », « fesser ») un enfant de la main ou avec un objet : fouet, bâton, ceinture, soulier, cuiller de bois, etc. Mais cela peut aussi consister, par exemple, à lui donner des coups de pied, à le secouer ou à le jeter par terre, à le griffer, à le pincer, à le mordre, à lui tirer les cheveux ou à le frapper sur les oreilles, à l’obliger à rester dans une position inconfortable, à le brûler, à l’ébouillanter, à lui faire ingérer de force telle ou telle chose (par exemple en lui lavant la bouche au savon ou en le forçant à avaler des piments rouges). De l’avis du Comité, le châtiment corporel est invariablement dégradant. De plus, il existe d’autres formes non physiques de châtiment tout aussi cruelles, dégradantes et donc incompatibles avec la Convention. Cela consiste, par exemple, à rabaisser l’enfant, à l’humilier, à le dénigrer, à en faire un bouc émissaire, à le menacer, à le terroriser ou à le ridiculiser. ».


De son côté, le Comité européen des droits sociaux exige également dans sa charte sociale engageant les états européens, une interdiction en droit de toute forme de violence à l’encontre des enfants en tout lieu recouvrant toutes les formes de châtiment n’impliquant pas forcément l’usage de la force physique, comme par exemple le fait d’isoler ou d’humilier un enfant.


Ces définitions montrent clairement que ces violences sont invariablement dégradantes et dommageables avec une intention de causer une peine dans l'idée erronée que cela puisse apprendre quelque chose à l'enfant, notamment d'être soumis à la domination. D'ailleurs de nombreuses études scientifiques, notamment en neurosciences affectives et sociales2, ont démontré les effets néfastes des châtiments corporels et autres violences éducatives sur la santé et le développement émotionnel psychologique, cognitif et physique de l'enfant.

Si ces violences sous couvert d'éducation sont à présent officiellement reconnues en France et dans de nombreux pays, elles ne sont pas encore perçues par l'ensemble des adultes en contact avec des enfants et nécessitent une prise de conscience de tous.


Toutefois, le terme « violence éducatives ordinaires » soulève aussi parfois des désaccords en étant parfois attribué, au delà des attitudes personnelles des adultes pouvant user de violences, à des cadres ou obligations imposés à tous les enfants, comme l'obligation scolaire à 3 ans et ses règles collectives ou d'autres mesures collectives contraignantes, tel certaines mesures sanitaires ou médicales pouvant pour certains enfants être source de perturbations. Cela ne correspond pas à la définition des châtiments corporels et autres violences éducatives définies par le comité des droits de l'enfant de l'ONU ainsi que par la charte européenne des droits sociaux.


Pour autant, on peut s'interroger sur la part des violences institutionnelles pouvant exister dans certaines contraintes collectives envers les enfants. Stanislaw Tomkiewicz a mis en lumière en 19823 les violences institutionnelles qu'il définie par « toute action commise dans et par une institution, ou toute absence d’action, qui cause à l’enfant une souffrance physique ou psychologique inutile et/ou qui entrave son évolution ultérieure. »

C'est aussi l'angle d'approche exposé par le Défenseur des droits dans son rapport de 2019 sur les violences institutionnelles4. Ce rapport met lumière des pratiques institutionnelles ne respectant pas les besoins fondamentaux des enfants et entraînant des perturbations voire de la souffrance, que ce soit par des actions directes ou des manques de moyens ne permettant pas de répondre à des besoins particuliers d' enfants (par exemple en situation de handicap n'ayant pas de place dans une structure adaptée à leurs besoins.)

Le Conseil de l'Europe définit en 1992 la violence institutionnelle comme étant l'ensemble des « violences physiques : coups, brûlures, ligotages, soins brusques sans information ou préparation, non-satisfaction des demandes pour des besoins physiologiques, violences sexuelles, meurtres (dont euthanasie)… ; violences psychiques ou morales : langage irrespectueux ou dévalorisant, absence de considération, chantages, abus d’autorité, comportements d’infantilisation, non-respect de l’intimité, injonctions paradoxales… ; violences matérielles et financières : vols, exigence de pourboires, escroqueries diverses, locaux inadaptés… ; violences médicales ou médicamenteuses : manque de soins de base, non-information sur les traitements ou les soins, abus de traitements sédatifs ou neuroleptiques, défaut de soins de rééducation, non-prise en compte de la douleur… ; négligences actives : toutes formes de sévices, abus, abandons, manquements pratiqués avec la conscience de nuire ; négligences passives : négligences relevant de l’ignorance, de l’inattention de l’entourage ; privation ou violation de droits : limitation de la liberté de la personne, privation de l’exercice des droits civiques, d’une pratique religieuse… ».

Le Conseil de l'Europe précise aussi sa définition des violences de 1987 mettant en exergue des conséquences délétères de ces situations : « La violence se caractérise par tout acte ou omission commis par une personne, s’il porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d’une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière. ».

Les violences institutionnelles ainsi définies ont donc un caractère dégradant et délétère de manière systématique pouvant varier en intensité selon les individus mais pas en totalité. Une violence institutionnelle reste donc invariablement une violence, de même pour une maltraitance ou un châtiment corporel qui ne saurait être justifié dans certains cas sous peine d'être minimisé. Toutefois, si ce qui est perçu comme une violence pour certains, ne l'est pas ressenti pour d'autres, comment peut-on déterminer qu'un acte est généralement une violence pour les enfants ? N'y a-t-il pas d'autres réponses à apporter à ceux pour qui une mesure entrave leurs besoins individuels ?


Par exemple l'instruction, obligatoire dès 3 ans, peut être perçue par certaines personnes comme structurellement violente de par les cadres imposés aux enfants à l'école.

Ainsi, Daniel Calin souligne même (en 2014) le caractère de l'école selon lui intrinsèquement violent de par les contraintes collectives qu'il estime forcément en inadéquation avec les besoins et aspirations individuels : « École obligatoire, programmes obligatoires, horaires obligatoires, contrôles permanents, murs, portes, etc., ».

Tomkiewicz parle aussi du « tout institué qui induit une violence institutionnelle dès lors qu’il n’offre qu’un moule unique à des enfants et à des jeunes tous différents. Les risques de rejet et d’exclusion des personnes accueillies sont alors certains. Pour ceux qui s’adaptent, cela peut être au prix de violences insidieuses, niant leurs besoins propres ».

Si ces constats peuvent exister à l'école comme dans d'autres institutions, est-ce pour autant une généralité et une fatalité ressenties par tous ? L'institution scolaire ne répond-elle pas aux besoins éducatifs de beaucoup d'enfants ? C'est en tout cas son but en se voulant inclusive et en individualisant des adaptations toujours plus demandées aux équipes éducatives. Si malheureusement l'école n'y répond pas suffisamment, par exemple pour les enfants à besoins particuliers, est-ce la structure de l'école qui en est la cause ou un manque de moyens humains et matériels (notamment en places dans des enseignements adaptées) ? D'autre part, si l'institution scolaire est imparfaite et nécessite de s'améliorer, à l'instar de pédagogies innovantes comme dans les pays nordiques, ne permet-elle pas de répondre à son principal enjeu d'éduquer des jeunes, futurs citoyens prêts à choisir leur voie dans la société, ce que beaucoup d'enfants n'ont pas encore la chance d'avoir dans certains pays ?

Si pour certaines familles, l'école est vécue en inadéquation avec leurs sensibilités et aspirations individuels, n'est-ce pas de l'ordre de choix éducatifs pouvant trouver des réponses quand cela est possible dans des pédagogies alternatives voire en famille ? Par ailleurs, ces choix éducatifs alternatifs sont-ils forcément exempts de violence envers les enfants ?


De même concernant des obligations médicales ou sanitaires perçues comme des violences par certaines personnes (vaccins obligatoires dès l'enfance, mesures sanitaires contraignantes dans un contexte de forte pandémie …), ces obligations sont-elles intrinsèquement des violences si elles sont bien supportées par bon nombre d'enfants tout en étant amenées avec explications, souplesse et bienveillance par les adultes ?

Les désagréments ou perturbations ressenties par certains sont-elles à généraliser et ne peuvent-elles pas trouver d'autres solutions individuelles que l'arrêt de la mesure générale estimée utile à la collectivité par des instances médicales?

De plus, si une mesure peut être discutable quand à son intérêt pour les enfants au regard de leur intérêt supérieur dans un contexte évoluant dans la durée, n'est-il pas à considérer aussi le risque, selon le contexte, de perturbations entraînées par l'arrêt de la mesure pour la collectivité et donc aussi pour les enfants directement ou indirectement ? De ce fait, décréter qu'une mesure imposée collectivement représente une violence institutionnelle reste très complexe et à considérer dans un contexte, avec perspective et précaution, notamment selon des études scientifiques objectives et au regard d'un contexte pesant les différents risques pour les enfants ainsi que collectivement avec et sans mesure. Si ces mesures ne sont pas avec objectivité fondamentalement une violence tel que défini par l'OMS, l'ONU et l'Europe, elles n'en demeurent pas moins à interroger et à réévaluer, comme pour tout protocole de soins ou de prévention évoluant selon les connaissances et le contexte.


Concernant le point de vue selon lequel toute mesure obligatoire envers les enfants serait une violence et contraire aux droits de l'enfant intégrant la prise en compte de leur opinion, rappelons que la Convention des Droits de l'Enfant a pour but de faire respecter les besoins fondamentaux des enfants qui sont essentiels et même certains vitaux pour la survie et leur développement global.

C'est d'ailleurs un grand principe de la CIDE avec aussi celui de permettre la participation de l'enfant aux décisions qui le concernant dans la prise en compte de son intérêt supérieur, le principe d'égalité des droits pour tous les enfants. De ce fait, ces droits n'ont rien à voir avec les droits en terme d'autorisation facultative selon des désirs personnels.

Le respect des besoins fondamentaux des enfants repose ainsi sur une protection et donc une responsabilité de la respecter pour les adultes, ce qui en fait une obligation ne pouvant être optionnelle.

Les choix tenant compte du ressenti de l'enfant portent plus sur des formes différentes possibles dans chaque droit fondamental mais pas sur le fond du besoin primordial dont l'enfant ne peut se passer (conditions de vie suffisantes, une famille, un accès à l'éducation, aux soins, à des loisirs…). Cela va de pair avec la responsabilité des parents et des adultes de garantir les besoins des enfants, y compris quand ces derniers n'ont pas la maturité émotionnelle et cognitive pour les percevoir et nécessitent qu'on leur dise « non » ou qu'on leur demande de respecter des règles dont ils ne perçoivent pas encore le bénéfice comme par exemple le soin du corps. La violence de l'adulte serait alors dans ce cas si cette demande est amenée avec véhémence et humiliation, plutôt qu'avec écoute, explication adaptée et bienveillance mêlée de jeu. Il ne viendrait pas à l'idée de décréter que de prendre une douche est une violence en soi ? Et pourtant, selon des contextes particuliers, cela peut être ressenti comme tel si par exemple l'enfant présente de fortes angoisses corporelles ou si la douche est donnée brusquement voire froide en punition !

Cela ne saurait justifier d'affirmer que la douche est intrinsèquement violente, alors que c'est la manière de l'amener et les éventuels besoins particuliers de l'enfant qui peuvent en faire une violence.


Il reste à espérer que le droit des enfants d'être protégé de toute violence soit respecté en tout lieu, selon la volonté notamment de programmes internationaux intégrant la CIDE tel le plan mondial 2016/2030 de développement durable ayant pour but en cible ODD 16.2 de «mettre un terme à la maltraitance, à l’exploitation et à la traite, et à toutes les formes de violence et de torture dont sont victimes les enfants».

Le Programme INSPIRE sous la direction de l'OMS répond à cet objectif en 7 stratégies ayant fait leurs preuves pour mettre fin aux différentes violences envers les enfants dont les violences éducatives et promouvoir le bien-être, l'éducation ainsi que des relations respectueuses. Une des stratégies de INSPIRE5 vise à renforcer les normes et les valeurs appuyant des relations non violentes, tolérantes, nourrissantes, positives et respectueuses de l’égalité hommes-femmes pour tous les enfants et les adolescents. Pour y parvenir, il faut souvent modifier en profondeur des normes et des comportements sociaux et culturels profondément ancrés, et en particulier l’idée que certaines formes de violence tels les violences éducatives seraient normales. Espérons que bientôt tous les adultes et les enfants bénéficient d'informations et de telles sensibilisations à l'éducation sans violence, dans le respect des droits de l'enfant.

Séverine Varin

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